Meneur de revue, chanteur à minettes, punk pur et dur, glam travelo, Gardenal, Valium, Nembutal, Librium fort, we like Alain Kan.
Interdit d'antenne et de promotion, puis disparu sur le quai d'une gare, la carrière d'Alain Kan n'est faite que d'absences. Il est la figure en creux du rock français. Cité dans les remerciements d'un livre de Pacadis "pour sa bonne humeur", ami de Daniel Darc, beau-frère de Christophe, il apparait comme un magnifique second rôle, toujours relayé en arrière-plan à cause de ses provocations : croix gammées, épingles à nourrices, discours hitlériens samplés, homosexualité et poudre. Mais, rassurez-vous, heureusement en France on ne se drogue pas.
En pensant à Gazoline, groupe d'Alain Kan, et à Pierre Wolfsohn, batteur de Taxi Girl décédé, Daniel Darc dédiera ainsi un titre, au cours d'un concert de 1985 à Bruxelles : "Pour Pierre-Jean. Pour Pierre. Pour tous les autres junks qui sont morts sans savoir pourquoi. Et pour 1977 et pour la fontaine des innocents. Et pour tous les autres groupes qui se plantent tous les jours".
Plutôt que de regretter cet état de fait, ne faut-il pas reconnaitre que l'oeuvre d'Alain Kan tendait vers cette mise à l'écart ? Que ses chansons ne pouvaient susciter qu'admiration ou dégout véhément ?
Les liens et influences entre rock et littérature sont des lieux communs. Jim Morrison (on peut rappeler la phrase de Philip Seymour "Lester Bangs" Hoffman dans Almost Famous : "Jim Morrison is a drunken buffoon posing as a poet. Give me the Guess Who. They have the courage to BE drunken buffoons, which MAKES them poetic."), Patti Smith, Rimbaud, Baudelaire, etc. Néanmoins, le rire glacial, la voix emplie de fièvre et les textes grotesques d'Alain Kan, tout cela n'est pas sans rappeler un poète, une oeuvre en particulier. Lautréamont et Les Chants de Maldoror.
Peinture de l'artiste Nick Kushner intitulé Maldoror: Satan Seated Upon His Throne qui sert d'illustration à une édition russe des Chants
Quand on écoute "Philo-dodo", "Devine qui vient dîner ce soir ?", "Blacky" et d'autres chansons, on ne peut qu'être frappé par la délectation perverse de l'acte méchant.
Verbalisation de la violence, esthétisation de la cruauté contre les autres, contre soi. Lautréamont parle des "pages sombres et pleines de poison" et des "émanations mortelles de ce livre".
Lautréamont dit également ceci : "J'établirai dans quelques lignes comment Maldoror fut bon pendant ses premières années, où il vécut heureux ; c'est fait. Il s'aperçut ensuite qu'il était né méchant : fatalité extraordinaire ! Il cacha son caractère tant qu'il put, pendant un grand nombre d'années; mais, à la fin, à cause de cette concentration qui ne lui était pas naturelle, chaque jour le sang lui montait à la tête ; jusqu'à ce que, ne pouvant plus supporter une pareille vie, il se jeta résolument dans la carrière du mal... atmosphère douce !" Il ne s'agit pas de faire un parallèle entre Maldoror et l'homme Alain Kan, mais entre Maldoror et le chanteur, l'artiste Alain Kan. Ce dernier démarrant sa carrière comme amoureux transi sur "deux notes de musique", dérivant ensuite lentement vers la "chevalerie de cuir et de sang". Héraut du Mal.
Cette croisade, dans les deux cas, trouvant son achèvement dans une disparition violente, inattendue, inexpliquée.
Pour en revenir à Taxi Girl, leur clavier, Laurent Sinclair, jouera et produira quelques titres sur le dernier album sombre, très sombre, d'Alain Kan, Parfums de nuit... Notamment sur le dernier titre "Schwartz Market" dont les paroles (retranscrites ensuite, avec des trous malheureusement) ne peuvent qu'être l'oeuvre d'un Lautréamont tox made in 77 : "Ce matin-là le ciel était clair entre les tombes. J'avais soif. J'ai toujours soif. Pris de vertige, je bus à toute vitesse mon petit-déjeuner : quatre bonnes gorgées de gin tiède. Ouai, je sais, c'est dur à encaisser le gin, surtout l'estomac vide. La vodka, par contre, c'est plus facile, plus propre, un peu salaud. Je dirais même la Suisse des alcools. Alors que le gin requiert une résolution plus farouche, comme des affinités malsaines avec des kamikazes. Bref, je me suis endormi le nez dans la double-page d'un Playboy usagé. Aïe aïe aïe, la gonzesse "Série Noire", chromée comme un pare-choc. J'ai dû rêver longtemps les doigts agités autour de ma braguette. Trop longtemps. Dehors, une nuit sombre, opaque, griffée de bourrasques s'était faite maîtresse de la ville. De gros nuages épais et menaçants s'engouffraient entre les immeubles aux façades grises et vertes, aux façades dégueulasses de la ville. Chaque flaque d'eau suicidait les enseignes aux néons tarabiscotés. Sex-shop, ???, hôtel du désir, clignotaient dans un vide désespérant. La grande ville continuait son activité nocturne mais aucun traffic n'encombrait le boulevard. À part quelques taxis et z'autos noir et blanc de la police, il n'y avait aucune voiture en action. Toutes étaient rangées en ligne sur le bord du trottoir. Peut-être demain, une de ces machines, aux formes ondulées, offrira à son conducteur une mort métallisée et fera ??? à un jeune adolescent violemment projeté de son Aston Martin, le front incrusté des fragments du pare-brise, couronne de diamants voilée d'une délicate dentelle de sang. Bizarre, bizarre, bizarre, bizarre. Qui a dit bizarre dans l'étrange de mes rêves ? Qui ? Lui ? Vous ? Vous, perdu à des milliers de kilomètres dans la même ville que moi ? Vous étroitement blotti, replié, pelotonné, dans votre lit d'orphelin avec pour compagne une petite fille mongoloïde qui jamais ne vous prêtera sa poupée. Viens, soyons bêtes, décrochons la lune, offrons-nous les trésors interdits. Mais en reste-t-il ? En reste-t-il vraiment de ces trésors cachés comme on en découvre dans les livres d'images ? Oh, douce amie (?), douce Aloïsse (?), il ne faut pas rêver, je rêve, faut pas rêver, la violence des tapins dans la rue. Comprend une bonne fois que tous les culs sont à prendre, que tous les corps sont à vendre. Tant pis si tu détruis ! Tant pis si tu fais du mal ! Regarde, regarde, nous ne sommes que des rats. Bientôt la race humaine sera anéantie, en proie à de vilains malaises. Douleurs terribles, odeurs de bas-fonds. La fosse aux serpents en large veines dans toutes les directions. Les oeufs lacrymogènes vont éclater. Ces rats ne tarderont pas à grandir. Ils nous feront sentir les griffes, leur mâchoire nous chatouillera la rétine, aïe ! ??? Ils iront au Louvre vitrioler le sourire niais de la Joconde, grignoteront les statues de marbre que nous adorons. Adieu dos charnus, adieu belle santé. Les grosses dames aux lunes bien nourries de Rubens seront avalées. Destruction obligatoire et souhaitable. Et toi, gros pédé, ne ris pas. Regarde, regarde ta famille innombrable qui s'avance, ta belle famille de rats. Prépare ton cul. Ton fion, ce monstre à l'allure sage que la Justice n'a pas encore surpris. On va enfin t'enculer, salopard. Déjà que tu jouis. L'idée seule de te faire baiser gonfle ta queue répugnante. Bientôt tu sentiras ces dents te fouiller les intestins. Tu crèveras de douleur affreuse. Pas de pitié sans une sorte de conscience appliquée, disait Artaud. Ton frère rat a de la conscience appliquée. Un flux de sang brûlant te montera à la gorge. Alors, il te plantera l'embout à poppers dans le nez. Vas-y, sniffe et crève, morne pissoire, hangar à merde. Au crépuscule, tes poussières seront balayées par le vent. Et moi, moi j'ai toujours soif. J'ai soif ! J'ai soif ! Oh, l'imagerie du mauvais goût me torture. Je n'ai sous les yeux que le triptyque de Bosch commenté par un Burroughs de passage. Que vais-je pouvoir t'offrir mon amour ? Que vais-je pouvoir t'offrir maintenant que nous somme faits de plastique et que nous avons toujours une éponge humide à coté de la main ? On efface... on efface... on efface... on efface... Il est grand temps de sortir des poubelles du monde entier. Je sais : il faut plastiquer le monde. Comment y parvenir ? Un crime intriguant. Je refuse toute action singulière. Je suis ??? d'une période d'oisiveté insensée et sensuelle. Perpétuelle rencontre de moi avec moi. J'ai déjà envisagé mon suicide et, par conclusion, je dois me détruire moi-même. Ma mort sera un crime, un assassinat, un meurtre sur pied de micro chromé, le visage parfaitement maquillé... maquillé... maquillé..."
"Qu'avons-nous donc à redouter ? Vince "Ziggy Stardust" Taylor est mort, Johnny Thunders a quitté son corps, quant à Alain Z. Kan, punk historique, fondateur de Gazoline, groupe mythique s'il en fût, il a disparu depuis bientôt une année, un peu trop longtemps pour qu'on puisse espérer quelque chose. Alain Z. Kan, qui baisa Bowie, rêva Bardot, écrit les plus/seuls?/beaux (convulsifs) textes français depuis Gainsbourg. "La réalité frappe trop fort !" Eh oui ! La dernière vision qui nous restera de lui sera celle d'un ange sur le quai d'une station de métro au nom idiot : rue de la Pompe ! Never born, never dead, son esprit veille sur nous, kids. Lui aussi faisait partie de cette chevalerie de cuir et de sang. Calice sacré. Il est parfois bien difficile de briser sa vie gratuitement." Daniel Darc, Prémonition, n°9, automne 91.
Bonus. Sujet d'investigation possible : pourquoi les tox sont-ils attirés par le standard "Falling In Love Again" ? Elle a en effet été reprise de manière distordue par Alain Kan, mais également, en allemand, par William S. Burroughs.
Librium fort
Décidément camarade quelle archéologie ! Je me souvenais des gazolines, vues au Gibus, à l'époque où on ne pouvait pas aller pisser aux gogues, parce qu'on dérangeait les braves gens qui se shootent, complètement oublié le nom de ce gusse. Et les Olivenstein!… Quelle brocante!… Quand vous en serez aux Guilty Razors, faites-moi signe, leurs photos illustraient la maquette du roman punk (le meilleur) de Kriss Vilà "Sang Futur", sorti en 77 au Dernier Terrain Vague.
RépondreSupprimerPour "Falling in love again",je crois que c'est assez simple: la version de Marlène Dietrich était culte chez les travelos, et tout un demi-monde où les croix gammées semblaient du dernier chic.
Ah les Guilty Razors, pourquoi pas !... Quoique mes goûts personnels me pousseraient plutôt du coté de Métal Urbain... ça va tourner au débat entre spécialistes cette histoire !
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