Heidegger, le philosophe de laForêt-Noire. Heidegger a kitschifié la philosophie. Je le vois toujours assis sur le banc, devant sa maison de la Forêt-Noire. [...] Heidegger après qui ont couru les générations de la guerre et de l'après-guerre, qui, déjà de son vivant, ont déversé sur lui une avalanche de thèses de doctorats répugnantes et stupides, je le vois toujours assis sur le banc de sa maison à côté de sa femme qui, dans son enthousiasme pervers pour le tricot, lui tricote sans arrêt des mi-bas d'hiver avec la laine, tondue par elle-même, de leurs moutons heideggeriens. Heidegger je ne peux pas le voir autrement qu'assis sur le banc devant sa maison de la Forêt-Noire, à côté de lui sa femme, qui lui a confectionné tous ses mi-bas au tricot et tous ses bonnets au crochet, et qui lui a cuit son pain et tissé ses draps, et qui lui a même fabriqué ses sandales. Heidegger était une tête kitsch [...] un faible penseur préalpin, selon moi, tout juste fait pour la potée philosophique allemande.
- Thomas Bernhard, Maîtres Anciens
Sur certaines photos, Heidegger porte le béret basque. D'où sort cette coiffure ? Pourquoi l'a-t-il adoptée ? Voilà une énigme qu'on aimerait voir résolue. J'ai pas mal voyagé en Allemagne. On peut y faire des milliers de kilomètres et y rencontrer des milliers de personnes sans y apercevoir un seul béret basque. Or, on en voit un, il faut qu'il soit sur le crâne de Heidegger !
Quand on discute avec des punks aujourd'hui, on parle plus souvent politique que musique. Merci les Clashs ! Merci les antifas ! On défile République-Bastille-Nation. On se dit lucide. Authentique. On écrit des romans de critique sociale. Beaucoup d'optimisme, de foi en l'avenir, et un peu de connerie.
Et pourtant, à moitié endormi, dans le calme estival d'un dimanche matin, comment ne pas être hostile au militantisme, désengagé de l'engagement, méfiant vis-à-vis des résistants ?
Heureusement, il nous reste nos bières, nos cigarettes et notre Teppaz pour écouter à fond et 400 fois de suite l'unique 45 tours des Olivensteins, "Fier De Ne Rien Faire".
Je n'ai même pas le courage
D'aller pointer au chômage
Oui bien sûr j'ai le bon âge
De pouvoir placer dans ma vie
Tous mes talents inusables
Et mes charmes infinis
C'est dur d'être si feignant
Quand on aime tant l'argent
Je suis fier de ne rien faire
Fier de ne savoir rien faire
Rien faire pas faire
Faut l'faire défaire refaire...
De toute façon, ils n'auraient pas pu faire grand-chose d'autre car le professeur Claude Olievenstein, psychiatre médiatique "spécialiste" des moeurs de la jeunesse et directeur d'une clinique pour toxicomanes, les a stoppés net. Il n'a pas apprécié la publicité pour son patronyme. Dans un des ces nombreux éditoriaux rageurs dans Le Matin de Paris, intitulé "NON AUX PUNKS !", le bon docteur invite à la censure de ce mouvement "crypto-fasciste", de cette jeunesse "mûre pour une aventure totalitaire, cruelle et sanglante". C'est dire s'il n'avait rien capté. Les Olivensteins, des fascistes ? Impossible, trop d'effort à faire. Et puis les pantalons d'uniforme sont toujours trop serrés. Une robe de chambre et un caleçon, c'est tout de même plus agréable.
"Sometimes I sit and think, and sometimes I just sit", mantra bouddhisto-branleur pour spiritualité réellement New Age.
Cette ambiance débraillée, ce truc d'élève qui rêvasse au fond de la classe, près du radiateur, nous rappelle deux grands glandeurs du monde de la Culture : Jean Eustache et Jean-Jacques Schuhl.
"J'ai peine à imaginer deux personnes aussi passives et capables de ne rien faire si longtemps, strictement rien, une longue torpeur dans les bars, que Jean Eustache et moi, du moins en Occident. Non ! C'est pas juste : il jouait, au baccara, beaucoup ! Et puis les filles... beaucoup... de tout : des belles, des moches, des travelos du Bois... N'importe... En rentrant fauché du baccara... Et il a fini par faire un ou deux films. Moi, très longtemps, j'ai continué à ne rien faire. Là-dessus, c'était quand même moi le plus fort, qui ai tenu le plus longtemps. C'est ce qu'il appréciait en moi, je crois, cet aspect ascétique, plus nul que lui. Et puis j'ai cédé à mon tour : il a bien fallu que je commence à vaguement m'y mettre moi aussi... Il n'était plus là, quelques autres non plus, j'étais un peu seul alors à ne rien faire, c'est difficile, je ne suis pas un héros quand même ! Je n'avais plus personne avec qui ne rien dire, ou alors parler pour ne rien dire ! Alors autant un peu travailler, comme les autres.
De toute façon il aimait le rien, le nul, le beaucoup de bruit et puis rien, les foirades, quoi ! Ça devait bien finir comme ça : une annulation. Et bien sûr j'étais complice un ou deux autres, aussi. On voulait lancer un mouvement, nous si immobiles ! Le nullisme ! Il était allé raconter ça au Nouvel Observateur au Festival de Cannes, le nul, le nullisme... n'être rien ! quand il a présenté La Maman et la Putain."
- Jean-Jacques Schuhl à propos de Jean Eustache dans Libération
Le silence éternel des grands espaces infinis vous effraie ? Baissez d'un ton, vous dérangez ma sieste !
Meneur de revue, chanteur à minettes, punk pur et dur, glam travelo, Gardenal, Valium, Nembutal, Librium fort, we like Alain Kan.
Interdit d'antenne et de promotion, puis disparu sur le quai d'une gare, la carrière d'Alain Kan n'est faite que d'absences. Il est la figure en creux du rock français. Cité dans les remerciements d'un livre de Pacadis "pour sa bonne humeur", ami de Daniel Darc, beau-frère de Christophe, il apparait comme un magnifique second rôle, toujours relayé en arrière-plan à cause de ses provocations : croix gammées, épingles à nourrices, discours hitlériens samplés, homosexualité et poudre. Mais, rassurez-vous, heureusement en France on ne se drogue pas.
En pensant à Gazoline, groupe d'Alain Kan, et à Pierre Wolfsohn, batteur de Taxi Girl décédé, Daniel Darc dédiera ainsi un titre, au cours d'un concert de 1985 à Bruxelles : "Pour Pierre-Jean. Pour Pierre. Pour tous les autres junks qui sont morts sans savoir pourquoi. Et pour 1977 et pour la fontaine des innocents. Et pour tous les autres groupes qui se plantent tous les jours".
Plutôt que de regretter cet état de fait, ne faut-il pas reconnaitre que l'oeuvre d'Alain Kan tendait vers cette mise à l'écart ? Que ses chansons ne pouvaient susciter qu'admiration ou dégout véhément ?
Les liens et influences entre rock et littérature sont des lieux communs. Jim Morrison (on peut rappeler la phrase de Philip Seymour "Lester Bangs" Hoffman dans Almost Famous : "Jim Morrison is a drunken buffoon posing as a poet. Give me the Guess Who. They have the courage to BE drunken buffoons, which MAKES them poetic."), Patti Smith, Rimbaud, Baudelaire, etc. Néanmoins, le rire glacial, la voix emplie de fièvre et les textes grotesques d'Alain Kan, tout cela n'est pas sans rappeler un poète, une oeuvre en particulier. Lautréamont et Les Chants de Maldoror.
Peinture de l'artiste Nick Kushner intitulé Maldoror: Satan Seated Upon His Throne qui sert d'illustration à une édition russe des Chants
Quand on écoute "Philo-dodo", "Devine qui vient dîner ce soir ?", "Blacky" et d'autres chansons, on ne peut qu'être frappé par la délectation perverse de l'acte méchant.
Verbalisation de la violence, esthétisation de la cruauté contre les autres, contre soi. Lautréamont parle des "pages sombres et pleines de poison" et des "émanations mortelles de ce livre".
Lautréamont dit également ceci : "J'établirai dans quelques lignes comment Maldoror fut bon pendant ses premières années, où il vécut heureux ; c'est fait. Il s'aperçut ensuite qu'il était né méchant : fatalité extraordinaire ! Il cacha son caractère tant qu'il put, pendant un grand nombre d'années; mais, à la fin, à cause de cette concentration qui ne lui était pas naturelle, chaque jour le sang lui montait à la tête ; jusqu'à ce que, ne pouvant plus supporter une pareille vie, il se jeta résolument dans la carrière du mal...atmosphère douce !" Il ne s'agit pas de faire un parallèle entre Maldoror et l'homme Alain Kan, mais entre Maldoror et le chanteur, l'artiste Alain Kan. Ce dernier démarrant sa carrière comme amoureux transi sur "deux notes de musique", dérivant ensuite lentement vers la "chevalerie de cuir et de sang". Héraut du Mal.
Cette croisade, dans les deux cas, trouvant son achèvement dans une disparition violente, inattendue, inexpliquée.
Pour en revenir à Taxi Girl, leur clavier, Laurent Sinclair, jouera et produira quelques titres sur le dernier album sombre, très sombre, d'Alain Kan, Parfums de nuit... Notamment sur le dernier titre "Schwartz Market" dont les paroles (retranscrites ensuite, avec des trous malheureusement) ne peuvent qu'être l'oeuvre d'un Lautréamont tox made in 77 : "Ce matin-là le ciel était clair entre les tombes. J'avais soif. J'ai toujours soif. Pris de vertige, je bus à toute vitesse mon petit-déjeuner : quatre bonnes gorgées de gin tiède. Ouai, je sais, c'est dur à encaisser le gin, surtout l'estomac vide. La vodka, par contre, c'est plus facile, plus propre, un peu salaud. Je dirais même la Suisse des alcools. Alors que le gin requiert une résolution plus farouche, comme des affinités malsaines avec des kamikazes. Bref, je me suis endormi le nez dans la double-page d'un Playboy usagé. Aïe aïe aïe, la gonzesse "Série Noire", chromée comme un pare-choc. J'ai dû rêver longtemps les doigts agités autour de ma braguette. Trop longtemps. Dehors, une nuit sombre, opaque, griffée de bourrasques s'était faite maîtresse de la ville. De gros nuages épais et menaçants s'engouffraient entre les immeubles aux façades grises et vertes, aux façades dégueulasses de la ville. Chaque flaque d'eau suicidait les enseignes aux néons tarabiscotés. Sex-shop, ???, hôtel du désir, clignotaient dans un vide désespérant. La grande ville continuait son activité nocturne mais aucun traffic n'encombrait le boulevard. À part quelques taxis et z'autos noir et blanc de la police, il n'y avait aucune voiture en action. Toutes étaient rangées en ligne sur le bord du trottoir. Peut-être demain, une de ces machines, aux formes ondulées, offrira à son conducteur une mort métallisée et fera ??? à un jeune adolescent violemment projeté de son Aston Martin, le front incrusté des fragments du pare-brise, couronne de diamants voilée d'une délicate dentelle de sang. Bizarre, bizarre, bizarre, bizarre. Qui a dit bizarre dans l'étrange de mes rêves ? Qui ? Lui ? Vous ? Vous, perdu à des milliers de kilomètres dans la même ville que moi ? Vous étroitement blotti, replié, pelotonné, dans votre lit d'orphelin avec pour compagne une petite fille mongoloïde qui jamais ne vous prêtera sa poupée. Viens, soyons bêtes, décrochons la lune, offrons-nous les trésors interdits. Mais en reste-t-il ? En reste-t-il vraiment de ces trésors cachés comme on en découvre dans les livres d'images ? Oh, douce amie (?), douce Aloïsse (?), il ne faut pas rêver, je rêve, faut pas rêver, la violence des tapins dans la rue. Comprend une bonne fois que tous les culs sont à prendre, que tous les corps sont à vendre. Tant pis si tu détruis ! Tant pis si tu fais du mal ! Regarde, regarde, nous ne sommes que des rats. Bientôt la race humaine sera anéantie, en proie à de vilains malaises. Douleurs terribles, odeurs de bas-fonds. La fosse aux serpents en large veines dans toutes les directions. Les oeufs lacrymogènes vont éclater. Ces rats ne tarderont pas à grandir. Ils nous feront sentir les griffes, leur mâchoire nous chatouillera la rétine, aïe ! ??? Ils iront au Louvre vitrioler le sourire niais de la Joconde, grignoteront les statues de marbre que nous adorons. Adieu dos charnus, adieu belle santé. Les grosses dames aux lunes bien nourries de Rubens seront avalées. Destruction obligatoire et souhaitable. Et toi, gros pédé, ne ris pas. Regarde, regarde ta famille innombrable qui s'avance, ta belle famille de rats. Prépare ton cul. Ton fion, ce monstre à l'allure sage que la Justice n'a pas encore surpris. On va enfin t'enculer, salopard. Déjà que tu jouis. L'idée seule de te faire baiser gonfle ta queue répugnante. Bientôt tu sentiras ces dents te fouiller les intestins. Tu crèveras de douleur affreuse. Pas de pitié sans une sorte de conscience appliquée, disait Artaud. Ton frère rat a de la conscience appliquée. Un flux de sang brûlant te montera à la gorge. Alors, il te plantera l'embout à poppers dans le nez. Vas-y, sniffe et crève, morne pissoire, hangar à merde. Au crépuscule, tes poussières seront balayées par le vent. Et moi, moi j'ai toujours soif. J'ai soif ! J'ai soif ! Oh, l'imagerie du mauvais goût me torture. Je n'ai sous les yeux que le triptyque de Bosch commenté par un Burroughs de passage. Que vais-je pouvoir t'offrir mon amour ? Que vais-je pouvoir t'offrir maintenant que nous somme faits de plastique et que nous avons toujours une éponge humide à coté de la main ? On efface... on efface... on efface... on efface... Il est grand temps de sortir des poubelles du monde entier. Je sais : il faut plastiquer le monde. Comment y parvenir ? Un crime intriguant. Je refuse toute action singulière. Je suis ??? d'une période d'oisiveté insensée et sensuelle. Perpétuelle rencontre de moi avec moi. J'ai déjà envisagé mon suicide et, par conclusion, je dois me détruire moi-même. Ma mort sera un crime, un assassinat, un meurtre sur pied de micro chromé, le visage parfaitement maquillé... maquillé... maquillé..."
"Qu'avons-nous donc à redouter ? Vince "Ziggy Stardust" Taylor est mort, Johnny Thunders a quitté son corps, quant à Alain Z. Kan, punk historique, fondateur de Gazoline, groupe mythique s'il en fût, il a disparu depuis bientôt une année, un peu trop longtemps pour qu'on puisse espérer quelque chose. Alain Z. Kan, qui baisa Bowie, rêva Bardot, écrit les plus/seuls?/beaux (convulsifs) textes français depuis Gainsbourg. "La réalité frappe trop fort !" Eh oui ! La dernière vision qui nous restera de lui sera celle d'un ange sur le quai d'une station de métro au nom idiot : rue de la Pompe ! Never born, never dead, son esprit veille sur nous, kids. Lui aussi faisait partie de cette chevalerie de cuir et de sang. Calice sacré. Il est parfois bien difficile de briser sa vie gratuitement." Daniel Darc, Prémonition, n°9, automne 91.
Bonus. Sujet d'investigation possible : pourquoi les tox sont-ils attirés par le standard "Falling In Love Again" ? Elle a en effet été reprise de manière distordue par Alain Kan, mais également, en allemand, par William S. Burroughs.
Lors d’une promenade dans le VIe arrondissement de Paris, de terrasses en terrasses, le fantôme d’Arthur Cravan vint s’asseoir à mes côtés. Alors que je partageais avec lui un demi de bière, le colosse mystique me rappela une de ses prophéties : « Dans la rue, on ne verra bientôt plus que des artistes et l’on aura toutes les peines du monde à y découvrir un homme. » Puis, il se leva, renversant tables et clients de son imposante stature, et disparut.
Quel drôle de diagnostic ! Je regardait la place Saint Sulpice où grouillaient des touristes japonais, des galeristes et des employés de banque. Même si l’on peut légitimement se demander si ceux-là n’appartiennent pas en fin de compte à l’ordre des diptères, je suis certain de trouver des hommes forts convenables parmi eux. Et puis d’abord, pourquoi le poète-boxeur était-il venu me hanter moi ? Il est vrai que depuis qu’il s’en est allé pourrir sur les plages du Golfe du Mexique - ou ailleurs, qu’est-ce que j’en sais ? - je pourrai tout à fait prétendre au titre de poète aux cheveux les plus courts du monde. Il devait sans doute penser qu’il serait de ma responsabilité de rappeler aux artistes qu’ils vivaient dans un monde tridimensionnel comme un poing dans la gueule.
N’ayant pas l’âme d’un prédicateur, je continuais tout de même ma quête dans ce VIe arrondissement, quartier de l’ivresse de notre jeunesse, là où les bars où nous avions nos habitudes ont fermé et où les femmes que nous avons aimé ont disparu sans laisser d’adresse.
Marchant le long d’une rue marchande, forme moderne du Purgatoire de Dante, j’attardais mon regard sur les noms des enseignes. Des créateurs ! Le Suisse avait raison ! J’étais cerné par les créateurs. De mode, de bijoux, de cuisine « fusion ». Que peut-il y avoir à créer dans un tee-shirt ? Si le mot « créateur » s’applique désormais à tout le Sentier réuni, nous sommes foutus. J’avais surtout de la peine pour l’Eglise Saint-Sulpice que je venais de quitter. Si elle savait que son Dieu n’était plus le seul sur le créneau de la création…
En fuyant cette vision cauchemardesque, je passai devant la Société Chimique de France. Je n’y aurais certainement pas fait attention - mon intérêt pour la chimie étant à peu près égal à celui que je porte à la sauvegarde des pigeons ramier de Papouasie-Nouvelle-Guinée - si je ne m’étais pas retrouvé bloqué par une manifestation. Il s’agissait d’un morceau de bravoure post-romantique contre la science. Cette posture un peu surannée, très Université de Vincennes, me fit sourire. Le ridicule des caricatures rend le monde un peu plus léger. Beaucoup d’anciens staliniens et/ou/puis maoïstes des années soixante, ayant virés balladuriens dès que ça n’eût plus payé. Ils étaient également accompagnés d’une masse de jeunes gens méchus, des étudiants.
Les pauvres chimistes, pour qui, je le répète, je n’ai aucune sympathie particulière, écoutaient, impuissants et dépités, ces vieillards habillés de liberty comparer leur institut au Goulag. Le ridicule, vous dis-je.
À les entendre, on avait l’impression que les erlenmeyers et bechers mettaient en danger les fondements mêmes de notre civilisation. Vraiment, le VIe est devenu un quartier-cimetière, entre les fantômes des suicidés de la société et les morts-vivants tendance « poète prend ton luth et me donne un baiser ».
Un vieux qui ressemblait à Philippe Sollers, et qui devait être leur chef ou leur représentant syndical, s’avança pour prononcer un discours rempli d’une notable quantité d’importance nulle, chère à Lautréamont. Alors que, piéton poli et non aligné, j’essayais de passer discrètement, un des jeunes étudiants se tourna vers moi et m’apostropha :
— Camarade, viens nous rejoindre dans notre lutte contre la tyrannie de la raison !
— Oh, vous savez, répondis-je dans une courageuse tentative de compromis, je n’ai rien de particulier contre la science…
— Quoi ? Tu soutiens la répression froide des puissances de la création et de la vie ? Ne te rends-tu pas compte que l’hégémonie de la rationalité asservit le travailleur au monde mécanisé ?
— Certainement. Mais la logique est tout de même une belle invention, vous ne trouvez pas ?
Que n’avais-je pas dis ! En insinuant que je préférais me servir de ma raison plutôt que l'inverse, j’avais fait du tort à quelque chose d’apparement beaucoup plus essentiel à quoi je n’aurais pas dû toucher. La rage aveugle du sens de l’Histoire se dirigea donc vers mézigue.
— Fasciste ! Petit bourgeois ! Laquais à la solde des puissants ! Carpette devant l’alliance objective de la bourgeoisie capitaliste et de la science!
Ah, heureusement pour eux que je ne mesurais pas un mètre quatre-vingt-dix et n'étais pas plus costaud, comme mon prédécesseur Cravan ! Sinon, comme lui, j’aurais passé ma vie à me battre et j’aurais fait sauter les dernières ratiches de ces vieux caciques de Maisons de la poésie. Mais, la promesse, dans un futur très proche, d’un limogeage me poussa à emprunter une rue moins fréquentée.
J’étais curieux de savoir ce que ces gens craignaient exactement. Quel sol pouvait bien se dérober sous leurs pieds à cause de la science et de la raison ? L’étude de l’optique n’a pas rendu l’herbe moins verte, disait Musil. Le travail des chimistes, vers qui la meute des sentimentaux se retourna une fois que j’eus disparu de leur champ de vision, n’a pas fait disparaitre la magie des premiers flocons de neige. Mon stoïcisme naïf me fait dire que nous avons un contrôle absolu sur nos représentations. Mais comme le volontarisme, l'individualisme éthiqueet l’apolitisme sont des valeurs petites-bourgeoises, je resterai à jamais hermétique à la révolution qui vient.
Il commença doucement à tomber du ciel une fine poussière blanche. De la neige. Je faillis bien, comme le gamin imbécile que je suis resté, provocateur et rigolard, tirer la langue pour en happer quelques flocons. Cela me fit sourire.
Pour ma part, je serais très heureux si j'avais pu contribuer à démoder l'exotisme, cette photographie en couleurs. Étymologiquement, exotique veut dire : ce qui est en dehors. L'exotisme c'est l'utilisation littéraire de ce qui se trouve au loin, hors nos frontières, par exclusion et aux dépens de ce qui est au dedans. Or, ce que nous voulons faire, c'est justement le contraire : établir pour nous-mêmes et pour autrui des rapports nouveaux, exacts et constants entre notre pays et le reste de l'univers.
Un des procédés les meilleurs pour nettoyer notre littérature de tout le bric-à-brac des romantiques, c'est de fausser volontairement les tableaux qu'on fait de l'étranger. Parmi les écrivains nouveaux, les meilleurs s'y efforcent : voyez l'Allemagne de Mac Orlan; l'Allemagne, le Pacifique de Giraudoux; la Russie de Delteil. D'autres utilisent l'étranger du dedans, à la seconde puissance, comme Larbaud, après s'être soigneusement débarrassés des noms propres, des noms de lieux, des idiomes, de toute la couleur locale, chère aux écrivains de cabinet. Il n'y a plus de voyageurs. Il n'y a plus que des gens qui voyagent autour de leur chambre : cette chambre, c'est l'univers.
- Paul Morand, interview donnée à Frédéric Lefèvre
La poésie n’est pas dans un titre mais dans un fait, et comme en fait ces poèmes, que j’ai conçus comme des photographies verbales, forment un documentaire, je les intitulerai dorénavant DOCUMENTAIRES. Leur ancien sous-titre. C’est peut être aujourd’hui un genre nouveau
- Blaise Cendrars
Elle vient d'une famille riche, et ça se voit. Dans sa jeunesse, elle a voyagé un peu partout dans le monde, en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud, en compagnie d'amis riches, et de ces voyages elle a rapporté de magnifiques photos en noir et blanc. Elle a voyagé avant l'ère du tourisme de masse. Aujourd'hui, ce sont des gens comme moi qui fréquentent ces endroits-là, et aussi le premier dentiste venu, ou des employés de banque, des veufs, des jeunes en voyage de noces, et puis des hordes d'Américains parfois obèses et imbéciles. Certes, le tourisme de masse est une belle possibilité - mais on aurait peut-être pu s'y prendre autrement. Tel qu'il est aujourd'hui, il m'apparait comme un nouveau genre de consommation colonialiste, une exploitation de la destinée plus ou moins cruelle d'autrui. On pourrait le voir aussi comme un gigantesque alibi, la meilleure manière d'éviter le voyage intérieur, la connaissance de soi. Ou peut-être pas ? Peut-être s'agit-il tout simplement de curiosité.
- Ettore Sottsass, Écrire la nuit, le livre interdit
Les alcoolos sont sans doute les animaux les plus bizarres de la planète, comme on dit. Un vrai paradoxe ambulant. Kris Kristofferson est celui qui a su le mieux décrire la détresse des alcooliques. Si vous l’écoutez bien, son Sunday Morning Coming Down est l’hymne des alcoolos. Il les a compris comme personne. (À croire qu’il avait lu Quand la conscience s’éveille de De Mello.) En particulier dans le passage de sa chanson où il évoque l’odeur de poulet frit qui vous chatouille les narines, et qui est un des vers les plus désespérants que je connaisse. Londres, par un dimanche après-midi pluvieux. Tous les pubs sont fermés. Vous luttez contre un vent glacial, pas loin de Ladbroke Grove, et là, le temps d’un instant, une bonne odeur de cuisine familiale… Et ça vous fout complètement en l’air.
- Ken Bruen, Toxic blues
I'd smoked my brain the night before,
On cigarettes and songs I'd been pickin'.
But I lit my first and watched a small kid,
Cussin' at a can that he was kicking.
Then I crossed the empty street,
'n caught the Sunday smell of someone fryin' chicken.
And it took me back to somethin',
That I'd lost somehow, somewhere along the way.
J'ai branché la radio. Que ma mère avait l'habitude d'appeler la TSF. Kris Kristofferson chantait Sunday Morning Coming Down.
Y a-t-il chanson plus mélancolique, aucune qu'on pourrait lui reprocher de chanter ?...
J'ai fredonné avec lui.
- Ken Bruen, Rilke au noir
On the Sunday morning sidewalk,
Wishing, Lord, that I was stoned.
'Cos there's something in a Sunday,
Makes a body feel alone.
And there's nothin' short of dyin',
Half as lonesome as the sound,
On the sleepin' city sidewalks:
Sunday mornin' comin' down.
En 1979, Olivier Assayas tourne un court-métrage promotionnel de 8 minutes pour le premier 33t de Jacno, produit par le label Dorian - Le Disque moderne (ça ne s'invente pas). Ce film, intitulé Rectangle, deux chansons de Jacno, est tourné dans l'une des tours Perspective du quartier de Beaugrenelle. Gros plans sur des machines, synthétiseurs et boites à rythmes, plans américains de Jacno, élégant, dans un décor du nouveau Paris, immeubles en matériaux bruts, béton et aluminium, grandes baies vitrées, écran titre aussi épuré et géométrique que les mélodies de l'album. Les motifs musicaux et le contexte du clip se répondent l'un l'autre. Au centre : le moderne, thème en vogue s'il en est.
Plus jeune, je m'asseyais dans le square Georges Pompidou (grande figure de la modernité française) de Vincennes, entouré d'immeubles à l'architecture semblable aux tours Perspective (en plus fauchée), pour fumer des cigares. Je pensais souvent à ce petit film. Les pierres incrustées dans le sols et les dalles formaient des motifs circulaires, envoutants. Alors, je contemplais ce décor sur la mélodie d'"Anne cherchait l'amour" ou de "Triangle" et je vivais une émotion esthétique que je pensais définitive.
D'abord connu pour son groupe punk, les Stinky Toys, puis pour le duo qu'il forma avec Elli Medeiros (déjà présente dans les Stinky Toys et qui a eu la carrière qu'on lui connait), Jacno se lance en solo en 79. Il mène en parallèle une carrière de producteur et d'arrangeur, s'occupant, entre autre, de Mathématiques Modernes, du premier 33t de Daho (parcqu'une des maquettes avait, selon lui, un air de John Cale !), de Daniel Darc, d'Higelin... Avec Elli, il participe également à la BO d'un fameux film de Rohmer, Les Nuits de la pleine lune dont une partie de l'action se situe à Lognes, ville nouvelle de Marne-la-Vallé, alors en plein développement urbain. L'architecture moderne encore. Le reste du film se déroulant dans des appartements bourgeois à Paris (les fêtes, la branchitude, Alain Pacadis, Bulle Ogier, le Palace, vous connaissez). Mais c'est l'artiste, auteur-compositeur-interprète, qui m'intéresse.
Si les productions artistiques fin 70, début 80 ont vite tourné au ringard (cold wave, néo-polar, art optique, etc.), pourquoi la musique de Jacno est-elle, me semble-t-il, restée intacte ?Grâce à un usage inédit du matériau sonore. Il utilise les claviers pour composer de véritable thèmes. Des agencements de notes qui se répètent sans pour autant reproduire le même schéma. Il n'y a répétition qu'à travers les variations. Il y a un son Jacno (c'est à peu près aussi intelligent que de dire d'un écrivain qu'il a un style, mais bon...). Des mélodies glacées accrocheuses et des paroles originales et ironiques. Ces dernières ne sont en effet pas en reste. Bien loin d'être de simples compléments à son travail de composition, les textes de Jacno sont le fruit d'un véritable travail d'auteur. Des textes touchants, surréalistes et franchement poétiques. Il multiplie également les exercices de style : l'inventaire à la Prévert avec "Mauvaise humeur" ou "Les Objets" (le premier brille au firmament du genre aux côtés de "Corned Beef" du groupe punk rigolard Bulldozer), le détournement avec "Le Sport", le délire électro-mystique avec sa version de l'Ave Maria...
Dans ses Fiches, au paragraphe 173, Wittgenstein note que "tout un monde se tient dans une phrase musicale". Rien n'est plus vrai pour ce premier album solo de Jacno. Avec sa beauté froide et métallique, il est l'oeuvre d'un jeune homme résolument möderne, pour l'éternité.
« ... Mots d'ordre soumis à l'arrière-plan de l'orgueil de l'hystérie & de la mort
l'Amérique aux mains des robots et des hyènes du Big Business
l'Europe livide bouffie de nourriture navigue entre fourberie anémie & ébriété
les poètes ignorent les rêves de l'enfance courbent l'échine & se transforment en fonctionnaires & en conférenciers
seuls les nouveaux ménestrels chantent & disent... »
— Claude Pélieu, Infra-noir
Chaque année, à l’initiative d’une poignée de penseurs branchés, on réunissait la part la plus dynamique, diverse et créative de la recherche contemporaine dans un même lieu, exotique de préférence, pour disserter sur l'état du monde. Ce genre de mise en relation, académique et un peu irénique, était monnaie courante dans le milieu de la critique radical-chic. Se situer à mi-chemin entre la poésie et la philosophie politique autorise à montrer les dents sans jamais avoir à mordre.
Cette année, ils se retrouveraient dans une de ces villes nouvelles des Caraïbes pour analyser les échanges entre notre Vieux Continent et le Nouveau Monde. Quoi de mieux que l’arrière-cours du Grand Frère yankee pour cela ! Quant au sujet, j’avais bien ma petite idée sur la question : contrebande d’idées avariées et tromperie sur la marchandise.
J’étais étudiant-chercheur en philosophie au sein d'un laboratoire de troisièmes couteaux d’une grande université parisienne. J'y avais été relégué après avoir fait observer le parquet d'un amphithéâtre en gros plan rapproché à un collègue. Un collègue ou le directeur de mon ancien labo, je ne sais plus trop. Il faut dire que j'avais déjà attaqué l'apéritif à ce moment-là. Je trouvais qu'il faisait remarquer, avec trop d'insistance selon moi, à une belle brune de mes amies qu'il la trouvait bien bonne. Et pas dans le sens de Mère Teresa. Je n'étais moi-même pas insensible à ses charmes - de la Brune, je veux dire - mais il y a des manières de faire.
C'est là qu'ont commencé les années de disette : impossibilité d'être publié dans les grandes revues, placardisation, obligation de faire cours aux gauchistes de première année dans les clapiers de Tolbiac.
Le Colloque Transatlantique de philosophie était pour moi un bon moyen d'attirer à nouveau les bonnes grâces de l'Université. La publication d'un de mes articles, dans un torchon étudiant, sur la réception brésilienne du philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein leur avait bien plu et ils me voulaient pour animer une table ronde sur les révolutions en Amérique du Sud. Pas d'intervention à préparer, billet d'avion, chambre d'hôtel, repas et boissons incluses. Tout bénef quoi ! N'empêche que le Colloque ne m'inspirait aucune sympathie : je ne pouvais pas encaisser les participants, avec leur Légion d'honneur et leurs blasons de mandarins de l'ENS. Et puis, vous m'excuserez, mais quand je me suis aliéné l'Administration, j'étais tout seul. Tout le monde était bien content de me voir stagner dans mon gourbi gauchiste. Votre histoire, ce sera sans moi ! Telle était ma résolution, peut-être pas aussi ferme que ce que je croyais.
Je n’avais pas été difficile à corrompre. Il avait suffi à la Brune de m’inviter à boire un café pour parler du voyage et, une bouteille de vin plus une rouille de champ' plus tard, j’avais signé. Sur le trajet du retour, je maudissais ma faiblesse pour la bouteille et les chemisiers entrouverts. Ce fut son visage rieur, rougi par la chaleur et l’alcool qui me mit dedans. Alcoolique et obsédé en plus !
Quelques semaines plus tard, j’engouffrais dans un sac de voyage en cuir des affaires de toilettes et des livres. J’embarquais également quelques chemises hawaïennes. Un Levis et des chemises hawaïennes, dégaine décontractée, prônée par Mishima avant que celui-ci n'arbore un style plus vert-de-gris.
Sur le trajet qui me menait à l’aéroport, en traversant le paysage postindustriel de nos grandes banlieues d’Ile de France, une paix étrange m’envahit. Une sensation d’acceptation quasi stoïcienne de ce qui ne dépend pas de soi. Au loin, on apercevait le béhémoth de verre et d’acier et son mouvement perpétuel.
Dans le hall, caisse de résonance de ce brouhaha moderne, entre annonces et conversations en plusieurs langues, je traînais ma valise jusqu’à l’enregistrement. Au comptoir d’une compagnie à bas coûts, un Asiatique tout à fait ordinaire, certainement bon père de famille, hurlait sur le réceptionniste. Je ne compris pas très bien s’il s’agissait d’une histoire de retard ou de bagage égaré. Je m’en serai bien moqué si les cris de l’Asiatique, qui me faisaient désormais penser aux pleurnicheries d’un enfant exténué qui refuse d’aller se coucher, n’avaient pas raisonné dans tout le hall. Aiguisée par la fatigue du voyage, la faiblesse de la volonté doit s’épanouir plus volontiers. En passant, je jetais un coup d’oeil à l’employé qui, avec son anglais de cuisine et son air faussement contrit, ne lui serait certainement pas d’une grande aide.
Je n’ai jamais compris ceux qui s’ennuyaient ou s’énervaient dans les aéroports. Passé l’émerveillement gamin des boutiques de luxe et des esplanades de marbre, on peut, sur présentation d’un billet long courrier, se payer une gueule de bois transcontinentale au prix du tiers-monde. L’économie mondialisée et la libre circulation des marchandises ont parfois du bon. Je laissais donc mon Asiatique taper de la tête contre le comptoir — sans aucune chance de réussite, l’Administration a la tête plus dure que n’importe qui — pour me diriger vers la zone duty free.
Une fois ma caisse de premium imported lager — ça ne s’invente pas — terminée, je laissais mon esprit vagabonder, s’inventant des histoire d’amants jet-laggués, sirotant, autour d’une piscine, des cocktails de fruits, au son des percussions, cuivres et chuchotements indigènes. Tout cela manquait un peu de géopolitique, je vous l’accorde, mais, à ma décharge, je m’apprêtais à pénétrer une terre tropicale que je fantasmais dans toute sa gloire Technicolor avec ses maisons coloniales de couleurs vives.
Un businessman vêtu d’un costume de mauvais goût me passa soudain devant, me sortant de mes douces rêveries. Ce qui me remis les pieds sur terre : je n’étais pas un Paul Morand, globe-trotter insatiable et libre, à la recherche de sensations neuves, de paysages inédits, pour mon prochain roman, forcément génial. Je n’étais qu’un pauvre chercheur en philosophie, pas plus malin que les autres, coincé dans l’étroitesse du monde bourgeois et du tourisme de masse. Et mon paradis caribéen ne devait plus rien avoir à voir avec le San Juan des années 50. Il devait plutôt s'agir d'une version abâtardie de Miami, protégée par l’Unesco, noyée sous les subventions et les jeunes Occidentaux socialistes en mal de causes à défendre.
Dans l’avion, à ma grande surprise, ce ne fut pas un des problocs du pré-carré de la pensée correcte qui s’installa à mes côtés, mais la Brune. Elle avait, pour l’occasion, revêtu un très sérieux tailleur bleu marine et son éternel chemisier blanc qui baillait — Dieu me préserve — à la naissance des seins. Je la lorgnais du coin de l’oeil, la bière pétillant dans mes veines, attendant le moment propice pour lui parler et paraitre spirituel, amusant ou tout simplement sympathique.
Un dizaine d’heures plus tard, je descendais de l’avion, toujours muet.
Pour un homme du Nord comme moi, tendance hyperborée, sortir du "cauchemar climatisé" d’un aéroport pour pénétrer l'humidité tropicale, ça vous frappe comme un coup de torchon trempée dans la gueule. Quand vous respirez, l’air est tellement saturé d’humidité qu’il en devient visqueux, compact. Le climat tropical était loin d’être mon préféré. Je sortis de l’aéroport en titubant vers l’autocar affrété à l’occasion du Colloque, essayant de relancer mon système respiratoire et rêvant d’une bière bien fraîche.
Le trajet jusqu’à l’hôtel m’offrit un aperçu de l’ambiance de la région. Alors que nous traversions des zones commerciales semblables aux nôtres et des groupements de baraques en tôle, les murs étaient décorés d’images parodiant l’imaginaire exotique des années 50. Les slogans publicitaires copiés-collés sur tous les bâtiments véhiculaient toujours la même idée : welcome to paradise. Paradis pour touristes débraillés et promoteurs corrompus, auxquels venaient s’ajouter, pour quelques jour, une foule d’intellectuels replets, aux rides profondes et aux cheveux sales.
En vérité, cette (auto) mise à l’écart de mes collègues m’arrangeait plutôt. La féerie des régions tropicales me rendait, malgré le climat, ce pays agréable. L’hôtel disposait d’une piscine où l’on pouvait, moyennant pourboire, siroter des margaritas. Si on rajoute à cela un goût tout personnel pour l’austérité analytique des bâtiments brutalistes (époque communisme réel), j’étais aux anges. Promener ma mine de Parisien blafard, sous le soleil des tropiques, entre les orchidées et les façades en béton avait quelque chose de vacances.
En pénétrant dans ma chambre, après avoir jeter mon sac sur le lit, j'ouvris le minibar et bus d’une traite une bouteille de Medalla Light. Enfin désaltéré, je parcourus du regard mon nouveau domicile. On aurait dit une cabine de bateau. Parquet et mobilier en bois cérusé. La chambre baignait dans une lumière blanche et, pour cause, je disposais d’une véranda de belle taille.
J’empruntais la fenêtre coulissante pour profiter de la vue. De ma terrasse, j’avais une vue plongeante sur un étrange décor. Dans la cour intérieure, bordée par d’autres bâtiments aux murs blanchis à la chaux, au milieu des allées de graviers — alors que, lyrisme de carte postale oblige, je m’attendais à une végétation exubérante, verte, tropicale quoi ! — trônait un unique palmier. Un palmier impériale, très grand. Je me suis dit, toi non plus mon pote, tu n’as pas l’air tout à fait à ta place. Dans cette cour intérieure épurée et vide. N’empêche qu’avec son tronc pointant vers le ciel et ses feuilles nonchalamment tombantes, il était d’une élégante droiture.
Je rentrais et contemplais mon luxueux intérieur. Si même avec ce faste, ils n’arrivaient pas à acheter ma tranquillité pour quelques jours, c’est qu’on ne pouvait plus rien pour moi, pensais-je. Même le palmier se tenait à carreau.
Le hasard immobilier avait situé notre hôtel, tout comme les auditoriums où se dérouleraient les conférences, dans un quartier très périphérique. Ancien coin d’ambassades et de salles d’exposition de l’époque communiste, sans doute. Peu d’endroits où sortir et se montrer. Un drame pour nos bourgeois des colonnes des pages culturelles. Il faut dire qu’on avait vite fait de paraitre minuscule au milieu des larges avenues vides, livré à soi-même face aux mètres cubes de béton.
« C’est sinistre, ne cessait de répéter, d’un accent nasillard qui me semblait venir de l’embouchure du Rhin et de la Meuse, un ancien maoïste. Allez, commandons un taxi et allons dîner en ville. J’ai entendu parler d’un restaurant typique qui… ». Je me retins de faire remarquer au socialiste batave que la seule chose sinistre, dans ce décor de rêve, était son accent. Mais les hommes ne sont pas davantage enclin à entendre la vérité sur leurs défauts privés que sur ceux de leur peuple (quand bien même, ils auraient, soi-disant, dépassé l'idéologie nationaliste). Moi même, il est inconcevable que je reconnaisse un jour que Paris empeste l’urine. Je laissais donc courir et profitais de leur absence de goût esthétique pour m’éclipser moi aussi.
En quittant l’hôtel, je laissais au portier un billet de dix dollars flambant neuf. Il m’adressa un large sourire auquel je répondis par un hochement de tête entendu. Toujours traiter un portier d’hôtel avec déférence ou on s’apprête à passer un séjour compliqué. Surtout qu’il ne faut pas oublier que, malgré mes descriptions enthousiasmées, je me trouvais dans un pays où un Blanc, surtout affublé d’une chemise hawaïenne et de cigarettes américaines, n’avait aucune raison, ni même aucune excuse, pour être trop souriant. À moins de vouloir être porté disparu. Me drapant de tout mon mépris dadaïste, je m’élançais dans la rue. Silencieux et inaccessible.
Le palais du Congrès national (1958).Photo Marcel Gautherot. Collection de l'institut Moreira Salles, Brésil.
Les autres promeneurs étaient rares. En tout cas, aucun n’arpentait ces ruines extraterrestres de la civilisation tropical soviet, avec autant de plaisir. De place en place, les allées s’enrichissaient d’infimes détails, dus à l’érosion du temps. De légers défauts, des imperfections sans gravité, irrésistiblement visibles sur le béton brut. Et, au lieu de m’écraser, les bâtiments m’encourageaient à vagabonder, physiquement et mentalement, à laisser libre cours à mes rêveries. Alors, je dérivais lentement dans ce qui n’était plus que le musée abandonné des souvenirs d’une époque à jamais révolue.
On était loin du style bling-bling et asymétrique contemporain. C’était une architecture honnête, d’une honnêteté absolue. Des proportions d’ensemble à l’agencement interne des poignées de porte, tout était conçu au millimètre près, d’une ligne très pure. Maintenant abandonnée, ces bâtiments n’étaient plus que la marque du cauchemar de l’Histoire. Souvenirs de l’époque où Johnny Rotten voulait passer ses vacances au pied du Mur de Berlin pour voir un peu de cette Histoire plutôt que d'utiliser ses congés payés pour s'entasser sur une plage.
Le jour commençait à décliner tandis que j’attardais mon regard sur un des nombreux immeubles-bunkers. J’inspectais longuement sa façade principale. Elle comptait trois étages et certaines fenêtres étaient aveugles. De colossaux pilastres semblaient la vertébrer. Dans toute cette masse architecturale, je vis la lueur vacillante d’une suspension. Et comme j’y regardais, une ombre traversa l’encadrement de la fenêtre. C’était une forme vivante, la première depuis mon arrivé dans ce coin du quartier. Clairement, il devait s’agir de squatteurs qui, au mépris de tout règlement, s’étaient installés dans le bunker abandonné et s’affairaient autour d'une bouteille de rhum. Rien d’irréel et pourtant c’était comme si cette lumière suggérait qu’une forme de vie mystérieuse hantait les lieux. Les fantômes de milliers d’ouvriers exécutés ou morts de fatigue devaient errer aux alentours.
Fort de mes émotions, j’entamais une retraite vers mon bunker à moi, ses pilotis, son bar.
On servait dans ce dernier un alcool local de couleur ambrée, rond et doux, présentant un caractère rafraichissant d'agrumes. Il n’y avait rien d’autre à faire qu’en profiter. Ce qui m’avait valu rapidement la réputation d’un type ombrageux qui préférait se saouler aux frais de la princesse plutôt que de discuter dialectique ou post-structuralisme.
Il faut dire que j’avais à peu près tout ce qu’il fallait pour qu’on me déteste : ivrogne, donc, mais également réactionnaire, caustique, machiste, haineux à l’égard de tous. Quelle dommage de n’avoir jamais été nazi, stalinien, lyssenkiste, althussérien, pédophile, maoïste ou foucaldien ! On m’aurait donné le bon dieu sans confession, quoi que je fasse ou dise. Au lieu de ça, j’étais bêtement sérieux. Et, aujourd’hui, rien de plus suspect qu’un jeune homme sérieux et son respect du travail bien fait.
De toute façon, on ne peut plus demander un effort un peu sérieux à qui que ce soit sans risquer d’être soupçonné d’atteinte à l’affectivité. Si l’on ne manifeste pas assez d’égards pour les sentiments ou les émotions d’autrui, c’est qu’on doit les mépriser. À notre époque, il n’y a rien de plus grave que de manquer de respect aux sentiments ou aux émotions d’autrui. Au mieux, on passe pour gentiment démodé, au pire pour un faf. Et avec mon crâne rasé, ma veste en cuir, mon jean 501 et mes chaussures de sport, je ne me rendais pas service. Comme disait mon médecin, j’étais du côté de la fracture. Surtout, ne pas mentionner ma pratique de la boxe.
J’étais perdu dans ces divagations sympathiques quoiqu’orgueilleuses, quand passa à côté de moi la papesse de notre manifestation. Une grosse femme au teint cireux, aux yeux trop éloignés et tombants, capables de vous fixer dans des angles improbables, à plus de quarante-cinq degrés. On aurait dit une tête de poisson remodelée pour qu’elle s’apparentât à quelque chose comme une femme. Elle jeta un regard dédaigneux à mon verre :
— Vous serez en état d’intervenir demain matin ? À huit heures ?
Même dans l’ombre fraîche d’un hôtel éloigné, les intellectuels parisiens trouvaient le moyen de venir m'emmerder.
La banlieue tropicale où nous vivions pour quelques jours était agréable, et je comptais bien me faire réinviter, donc il fallait éviter de faire trop de vagues. Je répondis malgré tout :
— Ne vous inquiétez pas. Je sais que ça vous répugne, mais mes valeurs petites bourgeoises m’obligent à prendre au sérieux des concepts comme ceux de devoir, d’obligation et de travail bien fait.
Elle fut d’abord plus surprise que choquée par ma familiarité. Je voyais derrière ses yeux ichtyens s’agiter son esprit faible et étroit. Mon renvoi, mon potentiel retard éthylique, comme un départ spontané de ma partmettrait un terme à la mécanique bien huilée de son colloque. Ce qui se répercuterait inexorablement sur les subventions. La caisse-enregistreuse, toujours :
— Tachez simplement d’être à l’heure.
Du poumon de la gueule de bois de Sergey Demidenko. Pas un nom des plus tropicaux, mais une représentation assez exacte du phénomène en question.
Je me réveillais aux aurores avec, comme de bien entendu, une gueule de bois atroce. Le goût divin de cet alcool local semblait rendre les lendemains encore plus pénibles. Saleté de breuvage amérindien dont l’origine devait remonter aux sacrifices virginaux les plus salaces pour vous filer une migraine pareille.
Ma gueule ébouriffé et mes yeux gonflés ne choquèrent pas le vieux serveur silencieux quand je descendis prendre mon petit-déjeuner : il avait sans doute vu beaucoup d’Occidentaux dans cet état pitoyable.
Assis au bar, courbé au dessus de ma quatrième tasse de café, je savourais des toasts réparateurs.
Le reste de la journée se déroula sans heurt de ma part. Je sais très bien, les apparences sont parfois trompeuses, quand je dois garder patiemment en moi les réactions à tout ce que j’entends. Ne serait-ce que par respect pour ceux qui avaient consciencieusement préparé leur intervention, vieux birbes comme jeunes chercheuses. La journée se déroula donc sans heurt de ma part. Nous eûmes droit à notre lot de banalités philosophiques, racontées de manière fort dramatique. Héroïsation des idées à la française. À noter parmi ces beaux morceaux de bravoures : une vieille femme bronzée et permanentée au regard inquiet, soucieuse que les hommes "vivent leur vie de manière authentique". Plutôt que de confier son angoisse et sa tristesse au soin d’un psychanalyste, elle avait choisi un public semi-cultivé d’expatriés et d’attachés d’ambassade. Audacieux ! Il y eut également un jeune homme à la barbiche de Trotski, activiste incandescent, qui nous invitait à rendre à la philosophie sa dangerosité. La ferveur avec laquelle il parlait d’insurrection à venir et de violence légitime le faisait suer à grosses gouttes, lui donnant l’allure d’un malade délirant sous la fièvre tropicale. Puis, comme il s’indignait de l’absence des classes populaires, maudissant l’entre-soi des "héritiers", il quitta la scène avec pertes et fracas. Il avait certainement rendez-vous avec ses amis à la conscience pure au bar dans le patio du Hilton. Ce n’est pourtant pas un coin du monde où il fait bon pour un barbichu de se promener seul. Les piolets sont en vente libre. Soit dit en passant, je connais des philosophes méchants, désagréables, contents d’eux-même mais aucun de dangereux. Si ce n’est pour le poste de leurs collègues. Pendant ce temps, je voyais la Brune s’affairer. Soutier de notre expédition de pieds nickelés qui, sous sa direction, prenait des airs de voyage d’affaires dynamique et organisé.
Hunter S. Thompson dans les années 60 à San Juan, Puerto Rico. Certainement en train d'écrire son premier roman, The Rum Diary.
En début de soirée, je démarrais l’apéritif avec un certain Torres, timbalero sud-américain, caution tiers-mondiste du Colloque, venu discuter musique amérindienne. Si je tenais compagnie à ce latino, c’est qu’aux antipodes de l’aristocratisme intellectuel qui dominait les séances, il était simple, humble et jovial. Nous évoquions notre intérêt commun pour les percussions pulsantes de la musique latine, quand il me posa LA question interdite :
— Mais toi, pourquoi est-ce que tu fais de la philosophie ?
Sempiternelles questions, comment, quand, pourquoi. Je n’en sais rien. Plutôt que de m’enfermer dans le silence, je pensais m’en sortir avec humour, une de mes marques de fabrique.
— Boh, après avoir bourlingué de bar mal famés en bar mal famés, je me suis dit : quitte à truander, pourquoi pas de la philosophie ? Je n’avais pas assez mauvaise conscience pour l’humanitaire. Pourtant Dieu sait que je suis corruptible !
Il sourit à ma pitrerie.
—Tu as faim ? me demanda-t-il, je connais un endroit.
Il m’amena dans une rue sombre et poussiéreuse du Quartier Colonial. Nous entrâmes dans une gargote pas très propre à peine éclairée. À l’intérieur, un ventilateur fatigué brassait un air toujours chaud. Plongés dans le mutisme, deux vieux indigènes en débardeur, affalés dans leur siège, transpirants, nous regardèrent nous installer. À part le bruit du ventilo, on entendait le grésillement d’une radio mal réglée. On distinguait les mélodies de chansons en espagnol qui devaient faire pleurer les machos lorsqu’ils étaient ivres.
Nous partageâmes un plat aussi bourratif que délicieux : abats de porc, patates, bananes plantains, oeufs, ignames et poissons entiers. Un mélange varié d’ingrédients et d’épices. Beaucoup de restes : un plat de la pauvreté. Ce qui s’accordait parfaitement avec l’ambiance panaméricaine de ce pays. Une certaine image de l’Amérique, multiculturelle, métisse et cosmopolite. Nous arrosâmes le tout avec du rhum.
Ce fut lui qui brisa le silence en premier.
— Vous êtes des romantiques vous les Français.
— Si je t’ai fait des avances, crois bien que c’était à l’insu de mon plein gré, me défendis-je.
— Mais non, estúpido, je parle du type de matin. Celui qui a quitté la salle. Le révolutionnaire !
— Ah oui ! Une synthèse de Dieu, Marx et l’Armée du Salut à lui tout seul.
En riant, il me traita d'homme sans principe, provocateur et insultant.
— Parce que toi, renchéris-je, tu ne penses pas que tout ceux qui se piquent d’éduquer le populo, au fond, n’en veulent qu’à son fric ?
— Je ne sais pas…
Il marqua une pause puis reprit, les yeux dans le vague.
— Tu sais moi, contrairement à l’autre, je l’ai faite la révolution. Dans mon petit pays d’Amérique du Sud. On avait une dictature militaire avec un général en costume vert-de-gris tout comme il faut. Nous, on était les libérateurs du peuple, tu vois ? On se battait pour l’autonomie. Contre la junte militaire et l’impérialisme. Alors, la violence de menacer quelqu’un avec une arme, je la connais. L’impôt révolutionnaire, la propagande par le fait, l'illégalisme, je connais tout ça aussi. J’en suis revenu. Oh, pas parce que j’ai perdu l’envie de me battre pour la justice. Je suis resté sincère et idéaliste jusqu’au bout, je crois. Mais, parce que sur le terrain, la réalité est tout autre. Loin du romantisme, tu vois ? L’impôt révolutionnaire ? Tu parles d’une connerie. Du racket pur et simple, voilà la vérité. La doctrine c’était prendre aux riches, aux pauvres comme aux pas si riches que ça et aux très pauvres. Quand on a fini par dégager les militaires, parce qu’on a réussi, aucun de mes camarades n’est retourné à l’usine ou aux champs. Ceux qui ne sont pas entrés au gouvernement ont dérivé vers les cartels, braquages, trafic de drogue, prostitution… Quand on se bat pour le bien du peuple, fatalement, on finit par vivre à sa charge. Au final, tout le monde haïssait la dictature mais nous, on suscitait le dégout.
Il s’était arrêté de parler, le visage désolé et clément. Nous sommes restés tous les deux, silencieux, à boire des rhums jusqu’aux premières lueurs de l’aube, resplendissante, colorée, insensible.
Pochette de l'album Camino del Sol du groupe belge Antena. Label : Les Disques Du Crépuscule.
Qu’importe, au fond, ce qui se passa au Colloque ensuite. Les débats virulents, les table rondes, les cocktails, les déclarations des maoïstes libertins contre les divisions spartakistes de Terre-Neuve ou d’ailleurs. L’ordre éternel des choses se rappelle parfois à vous sans prévenance ni poésie. Heureusement au Club Med de la philosophie, c'était bientôt hors saison. Le départ était prévu pour le lendemain.
Pour célébrer le succès du Colloque, on avait organisé une grande fête dans l'hôtel. Buffets de petits fours, fontaines de champagne, tables de blackjack et de craps. Je ne me sentais pas d'humeur joyeuse. Je m'imaginais disparaître dans la jungle pour fuir la civilisation occidentale. Ou me noyer dans la baie de Rio. J'avais un sacré cafard.
Le seul espoir que j’avais de sortir de ce marasme portait, évidemment, un sérieux tailleur bleu marine et un chemisier blanc. Il semblait que ma personne ne la laissait finalement pas si indifférente que ça. Nous regagnâmes mes quartiers sans dire au revoir.
Elle se tenait devant moi, croisant les bras, sans pour autant dissimuler ses seins dressés. À travers les persiennes, la lumière de la fête envoyait sur son corps des zébrures qui me donnaient l’impression de la déshabiller à nouveau. Je devinais la naissance des cuisses. Son regard.
Des odeurs du passé me revinrent. Des odeurs plus humaines, de sueur brune, de peau trop longtemps exposé au soleil, d’insouciance.
J’avais dans les yeux, son visage blanc empourpré par l’émotion, les filet brillants de sueur y glissant, collant de petites mèches de cheveux aux tempes, ses épaules dénudées, blanches et moites.
Puis la vision a perdu de sa netteté, s’est troublée et, portée par les notes mélancoliques d’un poste de radio esseulé, est allée se perdre à jamais dans la nuit interminable des Caraïbes.
*
(À lire de préférence en buvant de la cachaça, au bord de la piscine d'un hôtel minable de la banlieue de São Paulo, en écoutant Camino Del Sol d'Antena, trait d'union entre Antônio Carlos Jobim et Kraftwerk.)