Court-circuit de deux regards dans un blitz transatlantique. Pierre Drieu la Rochelle et Victoria Ocampo. Ils étaient fait pour devenir amants : “Nous étions perdus dans la forêt d'une cruelle époque de transition ; perdus dans notre solitude ; perdus, de manière différente, dans la question sexuelle ; perdus dans notre étrange vocation religieuse sans foi ; dans notre amour de l'absolu et de la vérité absolue : païens mystiques privés de catacombes et de Dieu. Tout cela sur des chemins si opposés qu'à première vue n'émergeaient et ne s'imposaient que nos différences“, écrit-elle.
Nous sommes en février 1929. Main dans la main, le rêveur des berges et la belle dignitaire argentine errent sur les quais de Seine. En avril, Victoria repart pour Madrid et l'Argentine. Drieu n'aura pas su la retenir. Apathie causée par le choc de la rencontre mêlé à son habituelle attitude d'autodénigrement ? Toujours est-il qu'elle revient à Paris en 1930. Avant de repartir. Leur relation sera rythmée par ces constantes séparations. À chaque fois, elle part la valise vide. Sans lui.
Entre deux avions, deux bateaux, les lettres se perdent. Les télégrammes fusent : “SINGER IN HIS ISLAND LUTETIAN WOMAN SAILING IN SEAS HARMONIES IN HELL OF ABSENCE - DRIEU“. Comme tant d'autres, Drieu ne se remettra jamais complément de son quart d'heure (sud-)américain.
Les lettres sont rarement indulgentes. Mais leurs différends politiques, intellectuels et moraux finissent toujours par passer au second plan. Aucun système, aucune idéologie ne peut résumer la solidarité, amicale ou amoureuse, entre deux êtres. Ce “génie charnel“ de Victoria n'aura pas échappé à Roger Caillois : “D'ailleurs, les livres ne sont jamais pour elle qu'un appât ou une enseigne, une raison sociale. C'est l'auteur, c'est l'être humain qui l'intéresse. L'oeuvre l'y conduit et ne sert qu'à l'y amener. Une fois qu'elle connaît l'auteur, elle ressent moins le besoin de lire ses oeuvres. Elle a l'essentiel, le noyau, la source.“ Le concret plutôt que les notions générales : on n'a jamais rencontré l'Homme ou la Femme, et surtout pas caressé leur peau.
L'esprit de leur première rencontre, la littérature comme salut, ne s'essoufflera pas pendant la guerre. Au contraire. La politique “ce n'est pas sur ce terrain que nous nous retrouvons, mais sur l'autre. Sur celui où on ne s'enlise pas“, lui écrit-elle. La littérature, indissociable de l'amour, serait donc cette terre praticable, nue et blanche qui confère “un sens (peut-être unique) à la lumière, aux ombres, aux plus petits reflets“. Une pampa à parcourir de ses doigts.
Sans doute, l'homme couvert de femmes ne les aimait-il réellement qu'intelligentes, sensuelles, riches, fortes, intransigeantes et libres. Cela fait beaucoup mais, après tout, on n'a qu'une vie, surtout lorsqu'on y met fin.
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Lettres d'un amour défunt. Correspondance 1929-1944, de Pierre Drieu La Rochelle et Victoria Ocampo aux Éditions Bartillat (réédition 2020).
Perdu dans la solitude… Comme c'est d'actualité!…
RépondreSupprimerAmitiés,
TM