mercredi 16 décembre 2020

“Ton vieux Drieu“

Court-circuit de deux regards dans un blitz transatlantique. Pierre Drieu la Rochelle et Victoria Ocampo. Ils étaient fait pour devenir amants : “Nous étions perdus dans la forêt d'une cruelle époque de transition ; perdus dans notre solitude ; perdus, de manière différente, dans la question sexuelle ; perdus dans notre étrange vocation religieuse sans foi ; dans notre amour de l'absolu et de la vérité absolue : païens mystiques privés de catacombes et de Dieu. Tout cela sur des chemins si opposés qu'à première vue n'émergeaient et ne s'imposaient que nos différences“, écrit-elle.

Nous sommes en février 1929. Main dans la main, le rêveur des berges et la belle dignitaire argentine errent sur les quais de Seine. En avril, Victoria repart pour Madrid et l'Argentine. Drieu n'aura pas su la retenir. Apathie causée par le choc de la rencontre mêlé à son habituelle attitude d'autodénigrement ? Toujours est-il qu'elle revient à Paris en 1930. Avant de repartir. Leur relation sera rythmée par ces constantes séparations. À chaque fois, elle part la valise vide. Sans lui. 

Entre deux avions, deux bateaux, les lettres se perdent. Les télégrammes fusent : “SINGER IN HIS ISLAND LUTETIAN    WOMAN SAILING IN SEAS    HARMONIES IN HELL OF ABSENCE - DRIEU“. Comme tant d'autres, Drieu ne se remettra jamais complément de son quart d'heure (sud-)américain.

Les lettres sont rarement indulgentes. Mais leurs différends politiques, intellectuels et moraux finissent toujours par passer au second plan. Aucun système, aucune idéologie ne peut résumer la solidarité, amicale ou amoureuse, entre deux êtres. Ce “génie charnel“ de Victoria n'aura pas échappé à Roger Caillois : “D'ailleurs, les livres ne sont jamais pour elle qu'un appât ou une enseigne, une raison sociale. C'est l'auteur, c'est l'être humain qui l'intéresse. L'oeuvre l'y conduit et ne sert qu'à l'y amener. Une fois qu'elle connaît l'auteur, elle ressent moins le besoin de lire ses oeuvres. Elle a l'essentiel, le noyau, la source.“ Le concret plutôt que les notions générales : on n'a jamais rencontré l'Homme ou la Femme, et surtout pas caressé leur peau.

L'esprit de leur première rencontre, la littérature comme salut, ne s'essoufflera pas pendant la guerre. Au contraire. La politique “ce n'est pas sur ce terrain que nous nous retrouvons, mais sur l'autre. Sur celui où on ne s'enlise pas“, lui écrit-elle. La littérature, indissociable de l'amour, serait donc cette terre praticable, nue et blanche qui confère “un sens (peut-être unique) à la lumière, aux ombres, aux plus petits reflets“. Une pampa à parcourir de ses doigts.

Sans doute, l'homme couvert de femmes ne les aimait-il réellement qu'intelligentes, sensuelles, riches, fortes, intransigeantes et libres. Cela fait beaucoup mais, après tout, on n'a qu'une vie, surtout lorsqu'on y met fin.

*

Lettres d'un amour défunt. Correspondance 1929-1944, de Pierre Drieu La Rochelle et Victoria Ocampo aux Éditions Bartillat (réédition 2020).

mardi 15 décembre 2020

Remettons en marche la pompe à phynance !


À en croire le premier et unique chanoine honoraire de la basilique Saint-Jean-de-Latran, il n'y a pas d'argent magique. Je conteste, poliment, mais je conteste. À la manière des instituts de sondage d'opinion, la Banque de Phrance crée de la matière à partir du vide. Si ça ce n'est pas de la magie...

Cependant, j'entends bien que lorsque l'argent vient à manquer (ce qu'il ne manque, justement, jamais de faire) la prestidigitation fiscale est un moyen bien limité de remplir les caisses. Heureusement, l'Administration et ses régents veillent. Et ils disposent d'un moyen tout sauf magique de faire rentrer de l'argent : l'impôt.

En prenant en considération qu'il s'agit là de l'unique moyen certain de vider les bas de laines, je m'apprête à proposer une solution géniale et définitive pour renflouer l'État :

Imaginez, sur le modèle de l'impôt sur la fortune, une taxe sur un signe extérieur de richesse en particulier : l'impôt lui-même. Car plus vous payez d'impôt,  plus vous êtes censés toucher des sous. (Il y eut bien un impôt sur les portes et fenêtres). Imaginez ensuite que vous payiez 10.000€ d'impôt par an et que le taux de cet impôt sur les impôts soit de 10%. Vous vous retrouverez, en fin d'année, à payer 11.000€ (10.000 + 1000). Sauf que, et c'est là tout le génie de la chose, cet impôt est lui-même imposable ! Grâce à une subtile utilisation de la théorie des ensembles, nous assistons à une régression à l'infini, comme dans un jeu de poupées russes. Le paradis de Cantor est tout sauf un paradis fiscal car vos 11.000€ se retrouvent à nouveau imposables, portant le montant à payer à 12.100€ et ainsi de suite. Il suffit ensuite de plafonner l'impôt à partir du moment où l'on considère que l'on a assez de pognon.

Les rentiers férus de logique, tremblant tout de même pour leur vie, m'objecteront que les ensembles sont rangés selon une hiérarchie de types et qu'il est sans signification de se demander si un ensemble est inclus dans lui-même ou non. Je réponds : “Certes“. Mais je ne doute pas que je saurais trouver, à la Direction Générale des Phynances Publiques, une oreille attentive à mon discours et ce en dépit de toute erreur de raisonnement. 

Je vous annonce donc que j'abandonne (au moins temporairement) la littérature pour me consacrer à ma nouvelle vocation de conseiller économique, prenant au sérieux la leçon des experts : ce n'est pas parce qu'on n'a rien à dire qu'il faut fermer sa gueule. Jacques Attali, prends garde !

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