Pour évoquer les valeurs d'intimité, il faut, paradoxalement, induire le lecteur en état de lecture suspendue. C'est au moment où les yeux du lecteur quittent le livre que l'évocation de ma chambre peut devenir un seuil d'onirisme pour autrui. [...]
Il y a donc un sens à dire, sur le plan d'une philosophie de la littérature et de la poésie où nous nous plaçons, qu'on « écrit une chambre », qu'on « lit une chambre », qu'on « lit une maison ». Ainsi, bien rapidement, dès les premiers mots, à la première ouverture poétique, le lecteur qui « lit une chambre » suspend sa lecture et commence à penser à quelque ancien séjour. Vous voudriez tout dire sur votre chambre. Vous voudriez intéresser le lecteur à vous-même alors que vous avez entr’ouvert une porte de la rêverie. Les valeurs d'intimité sont si absorbantes que le lecteur ne lit plus votre chambre : il revoit la sienne. Il est déjà parti écouter les souvenirs d'un père, d'une aïeule, d'une mère, d'une servante, de « la servante au grand cœur », bref de l'être dominant le coin de ses souvenirs les plus valorisés.
- Gaston Bachelard, La poétique de l'espace
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