mercredi 31 janvier 2024

De la certitude


 «Je ne sais pas où je vais mais je sais ce que je méprise. Ne riez pas, vous n’en savez pas plus.»

- Annie Le Brun, « Premier cerne », Sur le champ


« Don't know what I want
But I know how to get it
I wanna destroy the passerby »

- Sex Pistols, « Anarchy in the UK »


« L'homme raisonnable n'a pas certains doutes. »

- Ludwig Wittgenstein, De la certitude

mercredi 17 janvier 2024

Méditerranée, poème (3)

Le Domaine du Rayol, le Jardin des Méditerranées


                                    « Intérieur »

 

« Toutes les filles devraient avoir un poème écrit rien que pour elle, même s'il faut pour ça retourner cette sacrée bon dieu de planète sens dessus dessous. »

Richard Brautigan 



C’est la plus belle matinée du monde, la plus légère

De beaux doigts fuselés se glissent entre les persiennes

Geste absurde et charmant figé dans la lumière oblique

Imagination en berne.

Elle est blonde - si blonde

Et sa main nue jusqu’aux veines 

Resplendit sous le soleil blanc.

dimanche 12 novembre 2023

Le règne du n'importe quoi

Si la lecture du journal est la prière de l'homme moderne, alors les paroissiens d'aujourd'hui doivent tirer une drôle de tête. Les polémistes, experts, sondologues et éditocrates de tout poil (tiens, mais où sont les journalistes ?) à l'érudition sans limite répondent aux questions les plus lancinantes comme les plus futiles. Ils tirent une réponse de leur chapeau, orientée selon l'obédience du canard, et, sans la regarder plus avant, l'amidonnent et l'archivent telle une vérité révélée. Et pas de rouspétances ! Quel hégélianisme pervers nous fait-il croire qu'il faille relayer toute idée ayant surgi à un moment ou à un autre ?

Allons respirer un peu d'air frais, voyage entre juste colère et abandon désarmant, au côté de Mocky, Dard, Malet and co., cette bande de soudards pas facile à aimer pour les grandes têtes molles Ce qui lie mon œuvre à celle de Frédéric Dard, c’est la haine de l’hypocrisie, le besoin de franchise, même au prix du mauvais goût puisque le mauvais goût, pour beaucoup, c’est dire la véritéCinéma et littérature rigolarde, et quand il faut réaliste, violente et sans concession. Solo, L’Albatros, Un linceul n’a pas de poches, Le Témoin, Y a-t-il un Français dans la salle ?, Le Miraculé, etc, etc. L'amitié au dessus de tout, moquerie franche jamais cynique et tendresse sans mièvrerie. Et puis des femmes nues. Entre anarchisme et conservatisme décomplexé, anars de droite (anathème des anathèmes!), nous choisissons de rester libres et sentimentaux.


vendredi 13 octobre 2023

Musique et psychogéographie

 


À l’époque des couples désunis et des villes-musées, entre amnésie et futurs perdus, quel est encore le sens d’un mot comme dérive ?… Peut-être brancher son cerveau sur une fréquence pirate et marcher dans la ville au milieu des fantômes. Nous revendiquons d’être anti-fun, anti-brillant, terne nous semble un qualificatif juste et élogieux. Adieu vieille Europe, que le Diable t’emporte, toi et tes longs sanglots de synthétiseurs. Le passé fugitif et intime ne refait surface que sous la vibration des basses. Dans le brouillard plombant l’époque exsangue, on se branche alors sur cette fréquence pirate et on se laisse accompagner par une musique qui nous permettra, peut-être, d’entendre à nouveau nos propres pas.






« Quand Burial décrit sa façon de tester ses morceaux - en voiture, dans le Sud de Londres au milieu de la nuit -  pour déterminer s’ils possèdent la « distance » qu’il recherche, je pense systématiquement à Martin Hannett, le producteur de Joy Division, qui se livrait à des expéditions psychogéographiques comparables à travers le Manchester post-industriel de la fin des années 1970, en écoutant des groupes de l’époque comme PiL et Pere Ubu sur son autoradio. Hannett et Burial partagent la même obsession pour la reverb et les effets sonores subliminaux, souvent tirés du monde réel, qu’ils utilisent pour créer d’étranges espaces imaginaires. »

- Hardcore, Simon Reynolds 


vendredi 8 septembre 2023

Époque d'un cœur dépouillé

Jean-Claude Götting, "QUIT"

"Vous êtes trop et trop peu dans ma vie. Trop pour que je puisse aimer quelqu'un d'autre. Trop peu pour me combler et me satisfaire. Vous me donnez trop pour que je puisse cesser toute relation avec vous sans un déchirement affreux. Vous me donnez trop peu pour que ce peu ne soit pas aussi insuffisant et douloureux que le rien. Votre amitié m'est une torture, et la rupture de cette amitié me serait une torture elle aussi. Vous êtes comme un couteau dans mon cœur. L'y laisser, ça fait mal. Mais l'arracher! Je me viderais de ma vie. Je suis écartelée entre mon amitié pour vous, mon besoin spirituel de vous, mon besoin d'être aimée spirituellement par vous, — et mon désir d'amour, mon désir de vivre, fût-ce quelques mois seulement, ma chair qui, elle aussi, a un besoin légitime d'être aimée. Si je ne veux pas vous perdre, il me faut sacrifier ma chair. Il me faut mourir vierge, ou oublier jusqu'à votre nom."

- Henry de Montherlant, Les Jeunes filles

vendredi 31 mars 2023

Méditerranée, poèmes (2)

Paul Cézanne, « Baie de Marseille, vue de l'Estaque », 1885

« Nostalgie du port »


Tendres docks,

Est-il encore possible de rêver

Face à cet horizon hypothéqué

De mâts et de coques ?


Ils ont disparu

Les rêves coulant en grands tas d’or

Ne restent plus

Que des souvenirs qui rôdent, dehors

Dans le silence frais de l’eau. 

 ***

« Lumière, encore » 


La lumière du Sud fait ciller tes yeux.

Elle veille sur tout ce qui domine l’eau bleue,

Abruptes montagnes de calcaire blanc,

Déesses grecques d’à présent.

Resplendissante, elle accroche partout ses éclats

Tu es bien ici chez toi.

 

samedi 18 mars 2023

Méditerranée, poèmes (1)

 

Georges Braque, « Viaduc de l'Estaque », 1907

« Vision solaire  » 


Sans quitter les indistincts récifs de brume,

Il jette un regard 

Vers le front de mer incertain de la Méditerranée,

Vive, ardente, indomptable,

Avec un savoir incertain

Et une sensibilité exaspérée.


Depuis sa nébuleuse septentrionale 

Faite de cartes postales

Et de matelots d’imaginaires espaces,

Il vit en territoire lointain

Les poèmes de ses rêves méridionaux.


Il désire la vivacité insaisissable du Sud

Sans oser même l’approcher,

Toutes les amours sont paradoxales.


***


« Montée de l’Oratoire »


Les rues vont seulement de haut en bas,

Pentes bien dures en bord d’abîme

Où le murmure violent du mistral fait sa gymnastique

Sur les invisibles trapèzes de la ville,

Tu auras bien de la chance si tu peux t’y cramponner.

Sinon, plonge verticalement dans le vide,

Loopings et acrobaties piétonnes,

Chute languissante vers les rochers d’en bas.


Tu finiras étourdi

Par ta série mouvementée de tonneaux

Comme par la fenêtre nue qui donne sur la baie de Marseille.


***


« L’absence et l’exil »


À l’orée du port

S’étale la grande piscine de l’homme exilé

Barcelone, Marseille, Gênes, Port Saïd,

Mer de la soi-disante mutuelle compréhension.


Debout sur le parapet d’une terrasse trop sereine,

Mes yeux brutalisent la passerelle des cargo-boats en partance 

Morceaux de quais détachés, 

Aspect du métal civilisé.


Ni sédentaire, ni nomade,

Je suis le badaud sur le port,

Oublié et aphasique,

Les langues de l'adieu sont toutes étrangères.


***


« Vanneries et algues humides »


Des natures mortes de poissons,

Poésie de la mer et du commerce,

Exposées le long des quais :

Ecrevisses et langoustes vivantes,

Étranges petits monstres épineux,

Exportation de coquillages,

Expéditions de bouillabaisses en boîtes soudées. 

Tous les océans du monde sont là

Devant moi

Dans la poussière et le soleil.


***


« Le chant des cigales »


Son rapide répétitif soutenu

De boites à musiques hallucinés,

Frictions lancinantes d’incongrues cymbales.

Orchestre fantôme encerclé de feu

Qui joue dans un paysage spectral 

Desséché de soleil et de sel,

Comme en écho

Aux steamers hululant vers les vagues lointaines.


Le frottement de blocs sonores incompatibles,

Provence de Terre, Provence de Mer, 

Nous joue sa mélodie du futur. 


***


« Maison de tout 1er ordre »


Dans le Grand Hotel Métropole

On vend du provençalisme de bazar

Accompagné de soupe de coquillages,

Tandis que la vivante activité du port

Et sa mauvaise réputation universelle

Courbe le dos sous le poids 

De la liberté pour tour-opérators.


Dans cette maison recommandée pour familles et voyageurs

Les poètes sont oubliés comme les crabes dans leur nasse.


***


« Séduction féminine du Sud »


Elle est un soleil qui brille pour tous 

Sans plus d'explication que sa lumière inimitable,

Immédiate, presque brutale 

Force sans réplique.


Retrouver les beautés du Parthénon

Dans l'intégrité solaire de sa sensualité,

Réaliser le destin surnaturel de l’homme

Dans sa jeunesse intemporelle.


Trop belle, comme une essence d’Orient qui sent trop fort

Elle nous offre le monde et nous en sauve.


***


« Vue splendide sur la mer »


Une embarcation approche dans l'eau moirée de gras

Les vagues arc-en-ciel se brisent sur d’autres vagues

On ne trouve personne contre qui se blottir 

Pour faire barrage au vent venu de loin.

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