Inefficace et laide comme le savait l’être l’époque, la gare internationale me filait le cafard. Ce n’était déjà pas un bâtiment particulièrement gai, alors imaginez sous la pluie !… Ma chaussure droite ayant renoncé au concept démodé d’étanchéité, je choisissais quant à moi de renoncer à toute forme de sympathie à l’égard de ce qui m’était contemporain. Le futur sera mesuré, ou ne sera pas.
Encore une heure à tirer au milieu de ce réseau de couloirs labyrinthiques. La nonchalance de l’opératrice qui annonçait les retards et les changements de dernière minute accentuait l’ambience de complot permanent contre la possibilité de mon voyage. Dieu me garde d’être un jour prisonnier à perpétuité dans l’Enfer démocratique. Combien d’observations invraisemblables, combien de visions cauchemardesques ! La ville, dans la bise de l’hiver, était parcourue de fonctionnaires européens arborant des rase-pets en polyester partant joyeusement standardiser autant de pays que possible à grands coups d’aides internationales et de campagnes de propagande. Désarroi esthétique et moral. Le suicide ou la lutte armée comme seuls espoirs.
Pour passer le temps, je laissais trainer mon regard sur les vitrines des entreprises de tour-operator, forme de voyage aussi démodé qu’une liasse de travellers-chèques. Entre deux palmiers plastique, leurs affiches publicitaires déployaient un fantasme balnéaire dépourvu d’exotisme et d’aventures. Un fantasme un peu lugubre, derrière le vernis ensoleillé, calibré pour piscines à vagues de complexes hoteliers. Tourisme et UE, bonnet blanc et blanc bonnet.
Je sentais ma passion pour le style générique, ou international, de ces établissements publics me quitter petit à petit. Alors que le souffle tiède de la dépersonnalisation dilatait d’habitude pour moi une sorte d’espace creux au sein du monde, un espace de sérénité, il me semblait désormais brûlant comme l’alcool.
Mon train venait une nouvelle fois de changer de voie.
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