mardi 16 juin 2020

Ces viviers où prolifèrent les experts


Une plongée dans l'univers des think tanks et des grilles d’antenne des chaînes d’information continue avec Laurie Anderson.

jeudi 11 juin 2020

Buy the ticket, take the ride


Est paru récemment le #20 de la revue Beatdom, numéro consacré ce mois-ci aux "post-beats", ces auteurs auxquels on attribue, de manière abusive ou non, une filiation beat. Parmi eux, le gentlemen de Louisville, Kentucky, celui qui chassait les lézards dans les casinos de Las Vegas, le freak de Woody Creek, le journaliste hors la loi, j'ai nommé Hunter S. Thompson.
Il y aurait énormément à dire sur cet auteur légendaire de la "contre-culture" américaine, spécialiste de la Mort du Rêve Américain, pas naïf pour un sou quant à ce dont il était témoin durant les 60s. Et ce modeste dossier n'en aborde même pas le quart de la moitié. Il a cependant le mérite d'apporter des éclaircissements quant à la place qu'occupe HST dans le panthéon de la littérature américaine du 20ème siècle.
Le premier article consacré à ce dernier, "Hunter S. Thompson and the Beat Generation" de David S. Wills, se contente de relater, de manière scolaire mais efficace, les relations qu'il entretenait avec les trois grandes figures beat : Kerouac, Ginsberg et Burroughs. Du point de vue littéraire, le plus proche de lui n'est pas forcément celui qu'on croit... Cet article est également l'occasion de (re)lire les hilarantes nécrologies consacrées à Ginsberg et Burroughs.
Viens ensuite "Chasing Hunter's Literary Persona Through the Pages", une longue interview avec le Dr. Rory Patrick Feehan (qui a consacré une thèse à HST). Interview durant laquelle on apprend que l'héritier journalistique de HST pourrait bien être Matt Taibbi (ex-The eXile, Rolling Stone). Où l'on dit du bien du Outlaw Journalist de William McKeen et du mal de l'affreux Hunter: The Strange and Savage Life of Hunter S. Thompson de la toute aussi affreuse E. Jean Caroll. Où l'on redore également le blason de deux livres tardifs et sous-estimés du bon Dr. Thompson : Kingdom of Fear, son autobiographie, et Hey Rube, la collection de ses articles pour le site de sport ESPN.
On pourra ensuite lire avec profit "The Beaten Generation : Ginsberg, Burroughs, Thompson... and the Battle of Chicago"  de Leon Horton, qui revient sur les incidents de la Convention Démocrate de 1968 à Chicago.
Et enfin "Hunter S. Thompson: Fear and Loathing in Utero" du même Leon Horton, un très beau portrait du jeune HST.
(Indépendamment du "dossier" Thompson, on trouvera également l'article "William S. Burroughs, Timothy Leary, Drugs, and Control : When the Beats Split into the Hippies and the Punks" de Westley Heine, pièce de choix pour comprendre les répercussions du mythique mouvement littéraire).
Espérons que ce numéro permettra à certains de se rappeler à quel point Hunter S. Thompson était l'un des grands écrivains américains du 20ème siècle. Il est vrai que ses frasques et ses frusques ont souvent éclipsé l'auteur, sa grande sensibilité et son réel talent littéraire. Comme, à mon avis, en atteste cette lucide, trop lucide introduction à son premier recueil d'articles, The Great Shark Hunt. 28 ans avant son suicide :


Notes de l'auteur

"L'art est aussi lent que la vie est courte.
Quant au succès il est très lointain. "
J. Conrad

Eh bien... oui, nous voilà repartis.
Mais avant de me mettre au travail, pour ainsi dire, je veux être sûr que j'arriverai à me débrouiller avec cette élégante machine à écrire - (eh oui, on dirait que je m'en sors) -, donc pourquoi ne pas finir rapidement cette liste des œuvres de ma vie et puis foutre le camp de cette ville par l'avion de 11:05 pour Denver ? En effet. Pourquoi pas ?
Mais en attendant, j'aimerais dire, pour votre information, que ça fait vraiment très étrange d'être un écrivain américain de quarante ans dans ce siècle, assis tout seul dans cet énorme immeuble de la Cinquième Avenue de New York, à une heure du matin, la veille de Noël, à trois mille cinq cents kilomètres de chez soi, en train d'établir la table des matières pour un volume de mes propres Œuvres Choisies, dans un bureau avec une grande porte vitrée qui donne sur une vaste terrasse dominant la Fontaine du Plaza.
Très étrange.
J'ai l'impression que je pourrais tout aussi bien être assis là en train de graver l'épitaphe de ma propre pierre tombale... et quand j'aurai fini, il ne me restera plus guère qu'à plonger de cette putain de terrasse dans la Fontaine, vingt-huit étages plus bas, et au moins deux cents mètres de l'autre côté de la Cinquième Avenue.
Personne ne pourrait surpasser un tel numéro.
Pas même moi... et en fait, la seule manière de me sortir de cette sinistre situation une fois pour toutes est de décider délibérément que j'ai déjà vécu et achevé la vie que j'envisageais de vivre - (treize ans de plus, en fait) - et que tout, à partir d'aujourd'hui, sera Une Vie Nouvelle, un truc différent, un spectacle qui s'achève ce soir et commence demain matin.
Si donc je décide de bondir vers la Fontaine après avoir fini cette note, je veux préciser un point, sans équivoque aucune : j'aimerais vraiment faire ce saut, et si je ne le fais pas, je considérerai toujours que c'était une erreur et une occasion manquée, une des très rares fautes graves de ma Première Vie, en train de s'achever.
Et quelle importance après tout ? Je ne vais probablement pas le faire (pour toutes sortes de mauvaises raisons), et je vais sans doute finir cette table des matières, rentrer chez moi pour Noël et devoir y vivre encore une centaine d'années avec ce tissu de conneries que je suis en train de compiler.
Mais, bon Dieu, quelle magnifique sortie... et si je m'y décide, bande de salopards, vous allez devoir vous fendre de quarante-quatre coups de canon en guise d'adiey (ce mot est "adieu", bordel - et je suppose que je ne manœuvre pas cette élégante machine à écrire aussi bien que je le croyais)...
Mais vous savez que je pourrais y arriver, si seulement j'avais un petit peu plus de temps.
N'est-ce pas ?
Oui.

H.S.T. #1, Repose en paix
23/12/1977

vendredi 5 juin 2020

Péché d’orgueil


Christian Northeast, Plus grand, meilleur, plus rapide, plus frais, plus vite, 2005

Ces penseurs-là [Thomas Carlyle, Ralph Waldo Emerson, William James, Georges Sorel, G.D.H. Cole, Josiah Royce, Reinhold Niebuhr, Martin Luther King], je le crois, incarnaient la conscience des fractions les plus modestes de la classe moyenne, donnant voix à leurs préoccupations particulières et critiquant leurs vices caractéristiques que sont l’envie, le ressentiment et la servilité. Malgré ces tares, le conservatisme moral de la petite bourgeoisie, son égalitarisme, son respect pour le travail de qualité, sa compréhension de la valeur de la loyauté et sa répugnance face à la tentation du ressentiment sont les fondements sur lesquels les critiques du progrès ont toujours dû s’appuyer s’ils voulaient élaborer ensemble une alternative cohérente à l’orthodoxie régnante.
Je n’ai pas l’intention de minimiser l’étroitesse d’esprit et le provincialisme de la culture des fractions les plus humbles de la classe moyenne ; pas plus que je ne nie le fait qu’elle a engendré racisme, chauvinisme, anti-intellectualisme et toutes les autres plaies si souvent citées par les critiques libéraux. Mais les libéraux, dans leur impatience à condamner ce qui est déplaisant dans la culture petite-bourgeoise, ont perdu de vue ce qu’elle a d’estimable. Leur attaque contre « l’Amérique profonde », qui donna lieu en fin de compte à une contre-attaque antilibérale — l’élément principal de l’émergence d’une nouvelle droite — les a rendus aveugles aux aspects positifs de la culture petite-bourgeoise : son réalisme moral, sa compréhension du fait que chaque chose a un prix, son respect des limites, son scepticisme au sujet du progrès. En dépit de tout ce qui a pu être dit contre eux, les petits propriétaires, les artisans, les commerçants et les fermiers — plus souvent victimes que bénéficiaires des « innovations » — ne risquent pas de confondre le pays enchanté du progrès avec le seul et vrai paradis.
- Christopher Lasch, Le Seul et Vrai Paradis. Une histoire de l’idéologie du progrès et de ses critiques

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